Votre perception du monde résiste elle à l’épreuve des faits (Factualité) ?
Avant de commencer la lecture de cet article, si vous souhaitez confronter votre perception du monde aux statistiques officielles sur des questions de première importance, vous pouvez tenter le quiz d’Hans Rosling (5-10 minutes).
Seules 40 % de bonnes réponses en moyennes sur des questions pourtant de premier ordre. Alors ?
Notre rapport à la réalité/vérité a changé
Le sujet de cet article est de vous parler du seul et unique livre d’Hans Rosling, qui nous a fortement inspiré en ces temps d’incertitude, et dont les lignes sont d’actualité. Il s’agit d’aborder notre rapport à la réalité et à la vérité et de l’influence que cela peut avoir sur nos décisions.
En 1948, Hans Rosling est né en Suède. Médecin de formation, il a été conseiller pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et pour l’UNICEF. Il a participé, en 1993, à la fondation de Médecins sans frontières (MSF) en Suède. Il a donné d’innombrables conférences TED, et a co-fondé la Fondation Gapminder.
Il nous suffit d’ouvrir le journal, d’allumer la télé ou d’écouter la radio pour recevoir une multitudes d’informations simples et dramatiques. Le modèle économique des médias modernes repose sur leurs capacités à capter notre attention qu’ils monnayent en contrepartie d’encarts publicitaires. La tragédie, le dramatique, le sensationnalisme et les publications simples et rapides priment de plus en plus sur la rigueur journalistique sous le joug d’actionnaires de plus en plus exigeants.
Notre cerveau est donc surexposé aux mauvaises nouvelles. J’y ajoute ses tendances naturelles observées :
- Le cerveau ne voit que ce qui conforte son système de croyance.
- Le cerveau n’a pas un fonctionnement scientifique naturellement.
- Il a tendance à supposer le pire dans une situation de doute : instincts dramatiques (exemple bruit dans la savane : le vent ou un prédateur ?)
Les bulles algorithmiques, la caisse de résonance numérique, et la recherche coûte que coûte d’audience ont eu raison de notre rapport au réel déjà limité à nos seuls cinq sens. Les fanatiques et les fous, dont le savoir est incompatible avec leurs contemporains se détachent d’un réel de plus en relatif. Ils ont pris, dans certains groupes, pays, écoles, le dessus. Dans ce contexte, notre exigence de vérité s’évanouit de plus en plus et chacun développe sa réalité. Notre impression générale, peut-être même plus encore en Europe et en France, est que la situation du monde se détériore inexorablement et que la souffrance augmente continuellement.
Hans Rosling a créé le questionnaire que vous avez peut-être réalisé en introduction, pour le démontrer. Il l’a administré notamment lors du Forum économique mondial en 2015.
Comme vous avez pu le noter les questions portent sur la pauvreté, les tendances démographiques et la disponibilité des soins de santé de base. Bien que la majorité de l’auditoire lors du Forum économique ait pu répondre correctement aux questions relatives à la pauvreté, ils ont eu des résultats médiocres sur les deux autres aspects. Comment un tel groupe de personnes, instruites et accomplies, pourraient-elles résoudre les problèmes mondiaux si elles ont une fausse idée sur le monde ?
Ce questionnaire a été administré à des citoyens de tous les pays, des universitaires, des politiciens, des hommes d’affaires, des chercheurs, des militants, des prix Nobels, etc. Le constat d’Hans Rosling, c’est que, quel que soit l’éducation, la nationalité, les professions, le taux moyen de bonne réponse à ce questionnaire est de 40%.
Les réponses indiquent une vision du monde extrêmement dégradée. Qu’en est-il réellement ?
Je cite les mots de Michel Levy Provençal, entrepreneur, fondateur de Rue89, TEDxParis et de Boma : « Comment s’étonner de cette situation dans une société où l’individualisme est roi, le subjectivisme la norme, où la réalité même, est le produit de l’expérience de chacun ? Seul rempart, la science et le processus scientifique, dernier terrain d’entente commun entre les hommes est aussi remis en question. Climat, vaccin, 5G… autant de sujets sur lesquels la science a pourtant tranché mais qui continuent de susciter des théories les plus farfelues et largement relayées. Cette crise de la vérité a été considéré au départ comme une expression antisociale sans conséquence critique. Puis elle est devenue un problème démocratique. »
Partant de ce constat, Hans Rosling, s’est interrogé sur la source de ces erreurs d’appréciation qui touchent jusqu’à nos décideurs les plus éduqués.
Son approche repose sur des statistiques officielles vérifiées et des faits. Il est devenu expert dans leur modélisation (Datavisualisation). Il démontre que, par rapport aux générations précédentes le monde devient meilleur et que notre perception pessimiste du monde est largement fausse.
D’où le titre de son livre : un approche factuelle ou la factualité, c’est-à-dire l’art de fonder son opinion sur des faits. Cela peut nous permettre de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et de l’apprécier avec plus de clarté et de discernement pour nos décisions.
Factfulness (factualité en français) est le livre-testament d’Hans Rosling décédé en 2017. Il nous met en garde contre dix biais cognitifs ou instincts à reconnaître qui nous enferment dans l’anxiété et nous empêchent de voir que le monde va mieux.
Voici les dix instincts à reconnaître pour éviter des erreurs courantes et prendre de meilleures décisions.
L’approche d’Hans Rosling dans son livre Factfulness
- L’instinct du fossé
Nous avons une forte tendance à la binarité, dans un soucis de simplification et donc de compréhension erronée : noir ou blanc, riches ou pauvres. La réalité est bien plus complexe avec de nombreuses nuances.
La division du monde en deux groupes distincts de pays, pays développés et pays en développement, ou Est et Ouest est obsolète. Ce décalage entre histoire et actualité, est cet instinct du fossé.
Le monde a connu, sur les 50 dernières année, des changements remarquables. La grande majorité de la population, environ 75%, vit aujourd’hui dans des pays à revenu intermédiaire contre seulement 9 % dans des pays à faibles revenus.
Rosling propose une division du monde actualisée : quatre niveaux de revenu dont la grande majorité de la population vit au niveau 2 et au niveau 3. Le niveau 4 correspond aux pays les plus riches et le niveau 1 à l’extrême pauvreté.
Les choses se sont-elles améliorées ? Près de 85 % de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté en 1800, sans accès aux soins basiques de santé. De nos jours, près de 5 milliards de personnes sur 7 vivent dans la tranche de revenu moyenne. Même dans les pays pauvres : ceux du niveau 4, la situation s’améliore. Près de 60 % des femmes terminent le cycle de l’école primaire, mangent à leur faim et disposent d’installations sanitaires de base. La situation de certains pays (Somalie, Afghanistan et Soudan) est épouvantables mais ces pays sont des exceptions. Notre instinct du fossé dont donc être pondéré.
- L’Instinct du pessimisme
Notre cerveau a une forte tendance aux instincts dramatiques. Nous l’évoquions en introduction, la caisse de résonnance des médias pour les mauvaises nouvelles est puissante car elles captent notre attention.
La masse d’information sur les événements tragiques et les problèmes ne signifient pas qu’il y en a plus mais que les médias ont une capacité de diffusion mondiale et remontent les problèmes du monde entier jusqu’au fin fond du village le plus reculé de la Creuse. Les journalistes, comme tout être humain, sont poussés par l’instinct dramatique. Ils choisissent les nouvelles ou les événements dramatiques qui seront diffusés pour capter l’attention, des followers. Les progrès normaux, graduels et progressifs sont ennuyeux et donc non relayés. Dans ce contexte, il faut donc toujours s’attendre à de mauvaises nouvelles.
Les bonnes nouvelles sont rarement considéré comme des nouvelles. L’augmentation progressive des niveaux de revenus, les taux de mortalité infantile ou la baisse constante du nombre de décès dus au paludisme ne sont pas des faits nouveaux.
Prendre conscience de la perspective naturellement biaisée de l’information peut nous aider à réaliser que la masse d’information ne signifient pas pour autant plus de souffrance.
- L’instinct de la ligne droite
La conjecture de ligne droite est tentante mais rarement juste. Par exemple, l’augmentation de la population mondiale.
Pour contrôler l’instinct de la ligne droite, envisagez les autres possibilités. Ce n’est pas parce qu’elle pointe vers le haut aujourd’hui qu’elle est exponentielle.
Un exemple ? : le nombre d’enfants dans le monde est actuellement estimé à environ 2 milliards, il sera le même d’ici à 2100, et la population mondiale devrait se stabiliser à environ 10–12 milliards. La conjecture exponentielle ne tient pas compte de l’éducation des femmes et de la maîtrise des naissances.
- L’instinct de peur
Notre instinct de peur est lié à notre instinct de survie. Cet instinct, très utile, a sauvé nos ancêtre de nombreux périls.
Bien que le monde ait changé, nous avons conservé cet instinct qui nous fait souvent envisager le pire.
Nous n’entendons, par exemple, jamais parler de la baisse progressive du taux de mortalité lié aux catastrophes naturelles dans le monde (de 450 par million en 1965 à 10 par million en 2016). Par contre un tremblement de terre qui tue quelques milliers de personnes réveille notre esprit reptilien d’un monde dangereux et hostile. Hans Rosling invite, une fois de plus à la modération pour limiter l’instinct de la peur : envisager les autres scénarios et le niveau de risque.
- L’instinct de la taille
Un nombre ou d’une statistique seuls ne sont en soit pas pertinent. 80% d’un groupe de 10 personnes ne signifie pas la même chose que 15% de 70 millions de gens. Les statistiques sont très liées au pouvoir politique.
Pour limiter l’instinct de la taille, l’adage « toute proposition gardée » est judicieux. Nous avons un devoir de comparaison et de remise en perspective.
En 2016, près de 4 millions de bébés sont morts selon les données publiées par l’UNICEF. Ce nombre semble énorme. Cependant, si on le met en perspective avec les 14 millions de bébés qui sont morts en 1950, il devient évident que 10 millions de bébés ont survécu, comparativement à 66 ans auparavant avec une population mondiale bien moins importante.
Aux Etats-Unis, interdire ou restreindre la cigarette électronique qui a fait quelques morts supposés mais continuer à vendre des cigarettes qui ont tué des millions de citoyens. Investir des milliards dans la lutte contre le terrorisme en France pour des milliers de morts par an, alors que l’air pollué de Paris tue à lui seul plus de 300 000 parisiens par an… Quelle est la priorité si l’on veut « sauver » le plus d’êtres humains ?
- L’instinct de généralisation
La généralisation permet à notre cerveau de porter des jugements rapides et de faire des conjectures compréhensibles pour nous adapter rapidement à un environnement très changeant. Mais c’est aussi la cause de plusieurs de nos idées fausses.
Pour contrer l’instinct de généralisation, Hans Rosling propose de s’interroger sur les référentiels.
Lorsqu’on leur a demandé quel pourcentage des enfants d’un an dans le monde ont été vacciné contre une maladie, la grande majorité des personnes instruites ont majoritairement sous-estimé ce pourcentage, d’environ 88 % en réalité.
Exemple de changement de référentiel : passer du groupe des religions ou de la culture aux différents niveaux de revenu.
- L’instinct du destin
Ce n’est pas parce que le changement est lent, et qu’on ne le perçoit pas, qu’il n’existe pas. Notre propension à assigner le destin d’un groupe de personnes, ou d’une culture, au destin, entrave également notre compréhension du monde et déforme notre perception de celui-ci. Cet instinct est proche de la croyance au déterminisme.
Pour lutter contre cet instinct, Hans Rosling, propose de s’intéresser au tendance de fonds, sur de longues périodes significatives. Les adages « Ce sera toujours ainsi… » « Ils sont comme ça… ». Tant de gens croient, à tort, que les pays d’Afrique ne rattraperont jamais l’Occident, parce que les Africains ont certains traits innés qui ne leur permettront jamais de rattraper leur retard. Penser ainsi, au-delà du racisme latent, c’est oublier la croissance fulgurante des pays asiatiques comme la Chine, la Corée du Sud à l’issue d’une dictature militaire, le Japon qui avait subi une lourde défaite et de fortes destructions pendant la Seconde Guerre mondiale ou encore de Singapour qui, malgré de très faibles ressources et problèmes sociaux économiques importants, est devenu l’un des pays les plus prospères au monde. Qui aurait parié sur ces pays en 1950 ?
- L’Instinct du point de vue unique
Dans notre monde, nous recherchons plutôt des personnes et des faits qui confirment notre système de croyances. Cela est confortable et évite les débat ou argumentations pour prouver ce que l’on croit. Nous sommes souvent en proie à une seule perspective, aujourd’hui même renforcé par les algorithmes qui sélectionnent pour nous jusqu’à nous proposer le partie politique qui nous convienne le lieux (Facebook jusqu’à fin 2020). Il en résulte un biais qui entrave une vision objective du monde et bride notre esprit critique (faute de contradicteurs). Notre esprit se développe quand nos croyances sont mise à l’épreuve.
Comment échapper au piège du point de vue unique ? Les pistes avancée : multiplier les sources d’information, les expériences, éviter l’entre-soi et confronter ses croyances pour les faire évoluer. Nous prenions l’exemple de notre vision pessimiste du monde relayé dans nos médias quotidiens : le constat, c’est que le monde s’améliore globalement d’année en année, et bien qu’il y ait encore de nombreux défis, les progrès sont indéniables.
- L’instinct du blâme
Le monde est très complexe, et le cerveau humain, n’a pas la capacité de calcul pour le comprendre et prévoir l’avenir. Pour nous l’« approprier », nous le simplifions, collons des étiquettes par rapport à nos expériences et connaissances.
Notre désir de trouver de simplification nous amène à désigner un bouc émissaire : des gentils et des méchants, des alliés et des terroristes. Cela nous amène a exclure l’analyse des causes profondes et de ne traiter que les symptômes.
Il est plus facile de désigner un coupable que de remettre en question le système qui l’a créé.
La crise de l’immigration en est un bon exemple. Lors de la diffusion de la photo d’un petit garçon mort noyé sur une plage italienne, de nombreux européens ont blâmé les trafiquants. Quelles sont les causes profondes du problème ?
Si les réfugiés traverses la mer dans des conditions épouvantables, c’est principalement parce que la législation européenne exige qu’un réfugié voyageant sans visa soit approuvé comme réfugié valide par le personnel du bateau, avion, bus ou du train qu’il essaie de prendre. C’est une condition qui rend tout voyage de migrant impossible légalement. L’état de délabrement des bateaux vient du fait qu’il sont systématiquement confisqués par les autorités. Les trafiquants sacrifient pratiquement un bateau par traversé.
- L’Instinct d’urgence
Nous sommes poussés par l’appel à l’action à plusieurs reprises. Souvent, cela obscurcit notre jugement et déforme notre vision du monde. L’instinct d’urgence nous a longtemps protégé des dangers de la nature. Dans notre environnement actuel, il peut parfois nous conduire à prendre de mauvaises décisions, imaginer le pire scénario comme inéluctable. Le changement climatique est un bon exemple. C’est un enjeu de premier ordre qui nécessite une grande transformation.
Créer un état d’urgence permanent peut générer de l’exagération et décrédibiliser une cause pourtant juste. La crise « climatique » est un enjeu majeur impérieux.
Si les Etats ont les moyens financiers et humains pour engager une transition écologique d’envergure, nous pouvons tous agir, chaque jour, à notre échelle pour réduire notre empreinte carbone, mettre en place des habitudes saines, sensibiliser nos enfants, s’inspirer les uns les autres. Nous sommes tous responsables des conséquences des actions que nous faisons aujourd’hui.
Quelles perspectives ?
On raconte que lors de la seconde guerre mondiale, un groupe de soldats, perdu dans les Alpes au milieu d’une tempête de neige, a survécu en trouvant son chemin à l’aide d’une carte en lambeaux fournie par leur chef. Plus tard, une fois de retour à leur camp de base, les soldats se sont aperçus que la carte en question n’était en rien une carte des Alpes mais une carte des Pyrénées ! A l’instar des soldats perdus dans les Alpes, vaut-il mieux une fausse carte, que de ne rien avoir ? Une fausse vérité vaut-elle mieux que rien du tout ?
Si ne nous parvenons pas à restaurer notre rapport au réel, quels scénarios risquons-nous de voir émerger ? Je reprends des pistes proposées par Michel Levy-Provençal.
Faute d’un retour de l’autorité du savoir, la première pourrait être l’apparition d’un nouvel ordre global totalitariste avec son unique vision du monde et sa novlangue (Huxley ou Orwell).
La seconde pourrait ressembler à, ce que Michel Levy Provençal, appelle une « archipéllisation » du monde : Des milliers de groupes avec chacun sa perception du monde. Quelle stabilité dans ces conditions ?
Quelles troisième piste serait envisageable ? Hans Rosling nous donne une vision statistique actualisée (ses enfants poursuivent son œuvre), quand les grands esprits des siècles passés nous ont pourtant donné des clés de lecture : connais-toi et connais le monde, fais preuve de tempérance, de prudence, de sincérité, de discernement et de justice. La réponse est en chacun de nous, dans notre rapport à l’information, à la connaissance et à sa transmission au quotidien.
Jean Cocteau écrivait que « La superstition, c’est l’art de se mettre en règle avec les coïncidences ». Notre cerveau a besoin d’être en cohérence avec ses croyances (principe redoutable qui renforce notre résistance au changement) et nous choisissons notre système de croyance : notre carte.
Si on imagine le pire, notre cerveau ne verra que les symptômes du pire scénario. Le danger pour moi, c’est de transformer notre pessimisme en prophétie autoréalisatrice pour conserver la cohérence d’une perception sinistre. A quoi bon lutter pour un monde à la dérive, condamné avant même d’avoir joué, jusqu’à une déresponsabilisation totale et sans issue.
Les nouvelles technologies telles que l’IA, la réalité virtuelle et la connexion des objets et des corps au réseau global vont décupler ce phénomène.
Si nos croyances sont auto-réalisatrices, que nous pouvons les changer et que nous vivions dans un monde bien meilleur que ce que nous croyons : quel risque prendrions nous à choisir un réalisme optimiste ?
Hans Rosling démontre avec des arguments et des faits que le monde est en train de devenir un monde meilleur que les générations précédentes : une sorte d’optimisme éclairé et vérifiable dans les faits. C’est au moment où nous sommes noyés d’informations que nous sommes aussi assoiffés de sagesse. Pourquoi, ne pas, comme l’intelligence artificielle, choisir notre meilleur scénario collectif et transformer notre optimisme (basé sur des faits vérifiés) en prophétie autoréalisatrice.
Partagez cet article